Le suicide en milieu professionnel : que disent les chiffres ?
- Anaïs Cejudo
- il y a 3 jours
- 2 min de lecture
Introduction
Le suicide, dès lors qu’il est potentiellement lié à des facteurs professionnels, soulève de fortes inquiétudes. L’émotion légitime qu’il suscite se confronte souvent à un manque de données claires, ce qui rend difficile une prise de décision éclairée, aussi bien pour les employeurs que pour les représentants du personnel.
Dans ce contexte, il est essentiel de poser un cadre factuel, appuyé sur les données disponibles, en précisant à chaque fois leurs limites.

1. Quelle est la part des suicides liés au travail ?
D’après l’étude SUMER 2017 (enquête nationale sur les risques professionnels), environ 10 à 15 % des suicides en France seraient associés à une origine professionnelle présumée.
Il ne s’agit pas d’un chiffre absolu, mais d’une estimation issue d’analyses croisées entre données de mortalité, conditions de travail, exposition à des facteurs de risques psychosociaux, et signalements de proches ou collègues.
À noter :
Cette estimation ne prend en compte que les cas déclarés ou identifiés comme ayant un lien possible avec le travail ;
Elle est probablement sous-estimée du fait des non-déclarations, du silence des familles ou du manque de reconnaissance officielle du lien travail/suicide.
2. Les secteurs les plus concernés
Les suicides liés au travail sont plus fréquemment rapportés dans certains secteurs :
Soins, médico-social, éducation
Transport, logistique, fonctions de sécurité
Services clients et vente
Fonctions support sous forte pression (ex. : IT, finance, ressources humaines)
Ces secteurs partagent des caractéristiques communes :
Forte intensité de travail et exigence émotionnelle ;
Sentiment de perte de sens ou d’utilité ;
Exposition à des conflits avec le public ou la hiérarchie ;
Ressources collectives dégradées ou isolement professionnel.
3. Des données encore parcellaires et peu consolidées
Il n’existe aucune base de données centralisée publique recensant les suicides reconnus officiellement comme liés au travail.
Toutefois :
La CNAMTS (Assurance Maladie) recense les cas reconnus en accident du travail pour suicide, mais ceux-ci sont très peu nombreux : moins de 50 cas par an en moyenne ces dernières années.
Certains rapports d’inspection du travail ou d’expertises judiciaires permettent de documenter des cas à l’échelle locale.
Des entreprises (grands groupes, fonctions publiques) ont engagé un travail de recensement ou de suivi interne.
4. Les indicateurs de veille à surveiller en entreprise
À défaut de disposer d’un chiffre immédiat, plusieurs indicateurs indirects peuvent alerter :
Multiplication des arrêts de travail pour troubles anxio-dépressifs
Signalements répétés au CSE ou au service de santé au travail
Départs non remplacés / burn-out signalés / isolement
Détérioration rapide des indicateurs de climat social
Le repérage de ces signaux faibles peut permettre, dans certains cas, de mettre en place des actions de prévention avant qu’un passage à l’acte ne survienne.
Conclusion
Les chiffres relatifs aux suicides d’origine professionnelle doivent être manipulés avec prudence : ils ne disent pas tout, mais ils orientent.
Ils appellent à une vigilance accrue, notamment dans les environnements exposés à des risques psychosociaux multiples. L’approche quantitative doit toujours être articulée avec une lecture qualitative, issue du terrain, pour prévenir efficacement les passages à l’acte.